Pierre Loti, chantre de l’exotisme

De son vrai nom Julien Viaud, le romancier français né à Rochefort-sur-Mer en 1850 occupe une place singulière parmi les écrivains-voyageurs. Officier de marine, il s’affranchit du carcan familial et des pesanteurs provinciales, révélant les charmes de l’ailleurs tout en s’interrogeant, au fil de ses voyages en Afrique, Turquie, Inde, Japon et Polynésie, sur la dilution des cultures.

L’exotisme, promesse d’évasion

Exotisme, exotisme… Ce mot du langage courant résonne comme une promesse de plaisirs et de sensations heureuses, évoquant les plages, les cocotiers et cette idée d’une vie douce et facile.
Les racines de ce concept sont à chercher chez les écrivains et poètes qui ont révélé à l’Occident qu’il existait des ailleurs désirables des lieux différents, sources de curiosité et d’évasion.
Mais cet exotisme idéalisé a parfois occulté la réalité de ces destinations, confrontées, elles aussi, à leurs enjeux sociaux, économiques et culturels.

Avant Loti : Montesquieu, Bougainville, de Nerval…

Bien avant Pierre Loti, des figures comme Molière et son « mamamouchi » dans Le Bourgeois gentilhomme (XVIIᵉ s.), les Mille et Une Nuits traduites par Antoine Galland, ou encore les Lettres persanes de Montesquieu, ont nourri l’imaginaire du voyage.
Les récits de Bougainville, relatant son expédition maritime en Polynésie (1768), participent à l’émergence du concept de « bon sauvage », inspiré par la beauté et la liberté de ces territoires lointains.
L’exotisme s’exprime aussi dans la peinture, à travers le courant de l’Orientalisme, qui met en scène des tableaux exotiques et des scènes de vie inspirées du Moyen-Orient ou de l’Égypte, éveillant curiosité et envie d’ailleurs.

« Courir le monde en bohémien »

À une époque sans radio, sans télévision, ni réseaux sociaux, la littérature et la peinture sont les seuls moyens de voyager par l’esprit. C’est dans cette tradition que s’inscrit Julien Viaud. Dès 15 ans, il rêve de « courir le monde en bohémien » et de vivre une « vie de voyages et d’aventures ». Reçu à l’école navale à seulement 17 ans, il s’engage dans une carrière maritime, suivant les traces de son frère Gustave, médecin de la Marine. Ses affectations le mènent en Algérie, en Turquie, puis à Tahiti, où il reçoit le surnom de Loti, du nom d’une fleur tropicale offerte par la reine Pomaré IV.
Suivront le Sénégal, la Grèce, Constantinople et la rencontre avec Hatidjé, héroïne de son premier roman, Aziyadé (1879). Puis viennent Le Roman d’un Spahi (1881), Mon Frère Yves (1883) et Pêcheur d’Islande (1886), qui assoient sa renommée.

Le chantre de l’Empire ottoman

En 1885, Pierre Loti voyage en Chine et au Japon, puis en Maroc en 1889. Il visite ensuite la Terre Sainte, le Proche-Orient, puis l’Inde et l’Extrême-Orient avant sa dernière mission en Égypte (1907). Élu à l’Académie Française, il publie Les Désenchantées, récit sur la vie des femmes turques dans les harems. Fasciné par l’Empire ottoman, il en devient le chantre officiel, sublimant son univers dans une œuvre à la fois poétique et politique.

Tableaux plaisants mais doutes culturels

Les spécialistes de littérature ayant étudié l’œuvre de Pierre Loti à travers le prisme de l’exotisme ses récits reposant sur le voyage, la découverte du monde et la représentation des autres cultures (Matthieu Vernet, Fabula – La recherche en littérature, 2010) soulignent qu’il ne se contente pas d’exalter les territoires découverts. Certes, ses livres regorgent de tableaux plaisants et de clichés exotiques dont la postérité a souvent conservé le souvenir. Mais la plume de Loti porte aussi les germes d’une critique subtile. Désenchanté et nostalgique, il révèle une réflexion nuancée sur la rencontre entre les cultures. Loti pressent déjà les effets d’une uniformisation culturelle, craignant la disparition des identités locales au profit d’un modèle européen colonial dominant. Une vision étonnamment moderne, qui confère à son œuvre une profondeur bien au-delà du simple récit de voyage.

Représentations de l’Occident

L’exotisme selon Pierre Loti ne peut se comprendre qu’à la lumière du contexte mondial de son époque. Ce romantique oscille entre espoir et désillusion, observant l’ailleurs à travers le regard occidental du XIXᵉ siècle. Pour lui, l’exotique, c’est l’Autre cet être venu d’un monde lointain, aux coutumes, valeurs et climats différents. Mais, ironie du sort, cet Autre ne considère pas sa propre vie comme exotique : il vit simplement au rythme d’une nature généreuse, entre fruits, lumière et chaleur. Ainsi, l’exotisme apparaît comme une construction culturelle, reflet des rêves et représentations de l’Occident face à la diversité du monde.

Exotisme… tourisme… vacances

Sous cet angle, on comprend mieux comment l’exotisme vanté par Loti a peu à peu évolué pour devenir synonyme de tropical, puis de tourisme. Les territoires coloniaux du Nouveau Monde, situés entre les tropiques du Cancer et du Capricorne, étaient empreints d’un charme paysager propice à l’évasion et aux vacances. Les mots lointain, bizarre ou étrange décrivaient alors ces destinations exotiques, aux paysages remarquables et aux mœurs fascinantes. Et aujourd’hui encore, ces îles, continents et cultures d’ailleurs continuent de nous intriguer et de nous attirer.

Depuis Pierre Loti, les motifs coloniaux se sont effacés, laissant place à un désir de découverte, de plaisir et de connaissance, un voyage authentique, guidé non plus par la conquête, mais par la curiosité et le respect des cultures.

Dernière mise à jour : 13/10/2025

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